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Petite histoire du Bâtiment de la Direction de l’Enseignement et de l’amphithéâtre Marin-la-Meslée

S’il est un lieu que tous les élèves officiers formés à Salon-de-Provence connaissent, c’est sans aucun doute le Bâtiment de la Direction de l’Enseignement (B.D.E.). Ce lieu porte également un nom historique et officiel célèbre, celui de Georges Guynemer. En effet, pour tous les acteurs du Piège, il n’est pas qu’un simple bâtiment, il est aussi un point de repère, un lieu de rendez-vous, un gardien, une sentinelle, qui conserve et protège la mémoire et les histoires de tous ceux qui ont arpenté les longs couloirs des 4 niveaux qui le composent à la recherche des salles portant des noms d’aviateurs célèbres comme, par exemple : Astier, d’Alençon, Pégoud, Garros ou encore De Seynes. Il est également le compagnon de tous les élèves qui sont passés par les « chemins et les lieux interdits » afin de se rendre dans le bureau d’un officier pour se voir notifier une réprimande, ou encore celui des élèves punis qui ont séjourné dans les sous-sols où étaient naguère positionnées les prisons.

Le B.D.E. croqué par un élève de la promotion 1983.

Les élèves l’ont également surnommé « le Grand Piège », peut-être parce qu’il a servi d’internat pendant un certain temps et en particulier avant et après l’occupation des troupes allemandes présentes sur la base entre 1943 et 1944. En effet, les poussins logeaient dans le bâtiment qui était étroitement surveillé. Les entrées et sorties faisaient l’objet d’une réglementation stricte et étaient contrôlées par les officiers de semaine dont les bureaux étaient situés de part et d’autre des « grandes portes étoilées » de la salle des Marbres qui était alors l’entrée principale, appelée également « entrée du général ».

L'entrée du général.

Très peu de bâtiments présents encore aujourd’hui sur la base, dont le B.D.E., ont été les témoins de l’éclosion, du passage et de l’accomplissement de plusieurs générations de poussins à partir de 1937. En effet, les Petites Écuries à Versailles ont accueilli les élèves des deux premières promotions à partir de 1935 pendant qu’à Salon-de-Provence le chantier de construction de l’École de l’air avançait. De cette période de chantier, il ne nous reste que deux des trois hangars de type Daydé-Jeumont commandés en 1935. Les baraquements, destinés à héberger les élèves et situés sur l’emplacement actuel de la grande allée qui mène au mess officiers, seront utilisés jusqu’à la reconstruction du B.D.E. en 1946.

B.D.E. en construction ; photographie prise de la tour « Para » à la fin des années 1930.

La construction de ce bâtiment a commencé en 1938 et s’est achevée durant la Seconde Guerre mondiale pendant l’occupation allemande. Cependant, « le Grand Piège », quasiment achevé en 1943, a été bombardé 3 fois par les alliés. Les parties des bâtiments reliant au sud les ailes centrales, ouest et est, ont été pratiquement rasées. Le hall et la salle d’Honneur, la bibliothèque et le grand amphithéâtre, la salle de spectacle (actuel amphithéâtre Marin la Meslée) et l’aile centrale ont également été endommagés. Ces lieux seront reconstruits à partir de la libération du site en 1944. Seule la partie centrale ainsi que la partie ouest de la façade nord et l’aile ouest ont été épargnées. Ce sont ces espaces qui vont abriter les élèves à partir de 1946. En effet, fin octobre, des aspirants de la promotion Marin la Meslée (1945), les 58 poussins de la promotion Saint-Exupéry (1946) et les 36 EOA de la promotion Ménard (1946) se retrouvent dans le B.D.E. qui se remet petit à petit des bombardements qu’il a subis, faisant mentir la prophétie de « FOCAM 37 »[1] : « Et le Pièjac disparaîtra sous les décombres et les plâtres … ».

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[1] Vers la fin de la deuxième année de formation, quelques beaux esprits ont l’idée de proposer à la promotion 1936 d’écrire un texte sous forme de pièce de théâtre pour raconter, à leur manière, comment ils avaient vécu leurs deux années passées au Piège. Ils ont alors intitulé cette revue « FOCAM 37 : revue bâclée en deux actes, dix tableaux et une anticipation ».

Le B.D.E. en 1944 après les bombardements.
Aile centrale du B.D.E. détruite en 1944.

Ainsi, ce bâtiment, commandé à Joseph Albert Tournaire[2] en 1935, est le cœur de l’École de l’air et de l’espace. En 1946, on pouvait y trouver les dortoirs des élèves ainsi que les salles de cours, la blanchisserie, l’aumônerie, la cordonnerie ou encore le mess élèves et bien évidemment les prisons. Les deux tours de la façade étaient les réservoirs d’eau du B.D.E. et dénotent la volonté de concentrer tous les besoins en un seul lieu autonome. Les élèves quittent « le Grand Piège » en 1952 pour s’installer dans les nouveaux bâtiments général Testart et général Brocard. Le bâtiment général Valin voit le jour uniquement dans les années 1970.

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[2] Joseph Albert Tournaire est né en 1862 et décède en 1958. Cet architecte est reconnu très jeune puisqu’en 1888 il est choisi pour un séjour à la Villa Médicis. Il continue en dirigeant les fouilles du sanctuaire d’Apollon à Delphes, de 1892 à 1901. En plus du B.D.E., il réalise les plans de l’Hôtel Winter Palace à Menton en 1901, de la Villa Arnaga en 1903, des locaux du Tribunal de Grande Instance de Paris en 1911 ainsi que le plan de l’exposition coloniale de 1931 à Vincennes.

 

Les deux tours-réservoir du B.D.E. à la fin des années 1940.
Les couloirs du B.D.E. à la fin des années 1940.

Le « Grand Piège » est structuré autour de plusieurs salles qui revêtent une importance particulière dans la formation des élèves. Tout d’abord, la salle des Marbres, qui regroupe les différentes plaques sur lesquelles sont inscrits les noms des parrains de toutes les promotions ainsi que celui des anciens élèves de l’École de l’air, de l’École militaire de l’air et des officiers sous contrat morts en service aérien commandé ou morts pour la France depuis la création de ces écoles. Cette salle n’est accessible aux élèves qu’à l’occasion de certaines cérémonies officielles. Le silence est toujours respecté dans ce lieu, même lors de la remise des poignards qui se fait au son de la lame frappée contre le pilier situé à droite des escaliers. C’est au pied de ces mêmes escaliers que les élèves de l’école ont déposé les armes sous la menace des Allemands et à la demande du commandant de l’école, le général de Sevin, suite à l’occupation de la base en novembre 1942.

La salle des Marbres dans les années 1950.
Les escaliers à double volée et la citation du Président Auriol dans les années 1950.

Ces escaliers à double volée au-dessus desquels est inscrite la citation du président Auriol prononcée lors de sa visite du 14 avril 1947, visite à l’occasion de laquelle il a remis la Légion d’Honneur au drapeau de l’École de l’air, mènent à la salle d’Honneur encore appelée salle Guynemer. Cette salle qui surplombe la place général Pelletier Doisy (appelée par erreur P.O.) est un écrin pour les éléments patrimoniaux et archivistiques de l’aviation militaire. On y trouve, tout d’abord, six panneaux mentionnant les vertus essentielles de l’officier. Ces qualités sont associées à des figures emblématiques et charismatiques de l’aviation durant le second conflit mondial comme, par exemple, Max Guedj, René Mouchotte, Jean Tulasne ou encore Antoine de Saint-Exupéry. Sont exposés également le premier fanion de l’aviation militaire de 1911, mais aussi, disposés aux quatre coins de la salle, les fanions d’escadrilles de la Première Guerre mondiale. De plus, de nombreux objets rappelant le capitaine Georges Guynemer, y sont conservés : sa fourragère, quelques lettres et plusieurs portraits dont une reproduction de Paul Nadar. L’histoire de l’école est bien évidemment mise à l’honneur : les médailles des drapeaux de l’École de l’air et de l’espace et de l’École militaire de l’air (Légion d’Honneur, Croix de guerre 1939-1945 et Théâtres d’opérations extérieurs, Médaille de l’Aéronautique) mais aussi les portraits des parrains des promotions des deux écoles. Cette salle est décorée de deux grands panneaux muraux, dont le nom pour le premier est « Visions d’escale : Afrique Blanche », l’autre demeurant sans nom. Ce sont toutes deux des œuvres commandées en 1941 et livrées en 1948 par Jacques Fillacier[3], célèbre coloriste. Ces panneaux représentent l’époque de l’Entre-deux-guerres où l’aviation était particulièrement présente en Afrique grâce notamment aux exploits de l’Aéropostale et aux grands raids réalisés à travers l’Empire colonial.

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[3] Jacques Fillacier est né le 3 février 1913. Il effectue ses études secondaires au lycée Rollin. Il est admis aux Beaux-Arts de Paris, dans l’atelier de Lucien Simon en 1932 où il obtient le prix Marie Barskirtcheff (1936), le prix Paul Meurand (1936), le prix des critiques d’art (1938), le titre de boursier de l’État en 1937 et bénéficie de divers achats de l’État. Mobilisé en 1939, libéré à l’armistice, il s’engage dans les forces françaises en 1944 à Saint-Brieuc. Durant cette période, il expose des peintures et des gouaches à la galerie Chardin et réalise des peintures murales : de nombreux cafés, une école à Cachan, le restaurant de la banque Dreyfus et la Bank of America. Après la guerre, il enseigne la couleur pour différents établissements et poursuit son parcours professionnel en tant que coloriste-conseil, nouveau métier qu’il participa grandement à définir. Il décède le 3 novembre 1986.

Le parvis de la salle d’Honneur dans les années 1960 - 1970.
La salle d’Honneur dans les années 1950 - 1960.
Peinture murale de Jacques Fillacier « Visions d’escale : Afrique Blanche ».

L’amphithéâtre en hémicycle Clément Ader est situé à l’étage supérieur. Premier amphithéâtre à avoir été construit, il prend modèle sur les universités. C’est aussi dans ce lieu que l’École de l’air a été officiellement dissoute le 27 novembre 1942 et que les clés ont été remises aux autorités allemandes par le général de Sevin, sous la menace d’une arme. Cet amphithéâtre est resté en l’état et son mobilier date de 1946. Les tables lustrées par les manches des élèves conservent des messages gravés qui en disent long sur l’intérêt porté sur certaines matières enseignées.

Amphithéâtre Ader en 1946.

Au rez-de-chaussée, est située la salle appelée le « Temple », que l’on surplombe depuis le promenoir de l’étage où se trouve le commandement de l’École de l’air et de l’espace. Dans cette salle est suspendue la réplique à l’échelle 1/2 du Vieux Charles, l’avion du capitaine Georges Guynemer, portant le numéro 2 (numéro plus jamais porté car lui étant attribué à titre définitif). Le buste de l’aviateur est positionné à la montée des escaliers d’honneur, buste réalisé par Giovanni Pinotti Cipriani[4] en 1919. Sur le fronton, au-dessus de cette sculpture, est inscrite la devise de l’aviateur « Faire Face » à laquelle est associée le poignard, symbole du commandement.

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[4] Giovanni Pinotti Cipriani est un sculpteur, né à Naples en 1876 et installé à Paris. Il est décédé dans cette même ville en 1925. C’est un ancien élève de l’école des Beaux-Arts de Rome. Il est l’élève d’Allouard. Il expose des portraits à Paris au salon des Artistes Français à partir de 1903. Il est l’auteur, entre autres, du monument aux morts de Drancy et de nombreuses sculptures en bronze.

Le Temple actuellement avec l’avion de Guynemer à l’échelle ½.
Le poignard, symbole du commandement et la devise de Guynemer.
Le buste de Guynemer de Giovanni Pinotti Cipriani.

Enfin, toujours au rez-de-chaussée, en plein cœur du bâtiment, se situe l’amphithéâtre Marin la Meslée. Il abrite des panneaux de scène sculptés en bois de Gaston Etienne Le Bourgeois[5]. Sur ces panneaux, le mythe d’Icare côtoie celui de Bellérophon. Icare, le héros, celui qui a osé s’aventurer trop près du soleil, qui a chuté et a été englouti par les flots et que l’on associe au Minotaure (monstre à la tête de taureau). Bellérophon, celui qui ne sera pas héros parce que trop orgueilleux, et qui, désarçonné par Pégase, chuta et erra sur terre jusqu’à sa mort. Ce mythe rappelle la Chimère (créature fantastique dont le corps tenait généralement pour moitié du lion et pour l’autre moitié du bélier) que Bellérophon a pourfendu, monté sur le cheval ailé Pégase. Ces deux récits fabuleux sont étroitement associés au vol en général et aux brigades de l’École de l’air et de l’espace en particulier à travers, notamment, les animaux évoqués. Ainsi, ces deux histoires mettent en opposition le héros et l’anti-héros et rendent hommage au courage et à la volonté d’aller là où « personne n’est allé ».

Ces panneaux de scène, posés en 1948, peuvent être analysés sous un autre angle. En effet, Gaston Le Bourgeois, après la Deuxième Guerre mondiale, s’oriente alors d’avantage vers les œuvres religieuses sans oublier la sculpture animalière. Ainsi, sur le portique, la tête du taureau, la tête du cheval, les représentations de l’aigle et l’homme-ange (situé au milieu du portique en haut), peuvent être associés respectivement aux quatre évangélistes, à savoir : Luc, Marc, Jean et Matthieu. Cette représentation est inspirée par une vision du prophète de l’Ancien Testament Ezéchiel et par la description des Quatre Vivants de l’Apocalypse. Sur le côté droit du portique, la tête du bélier et celle du cheval représentent respectivement la notion de sacrifice et l’instrument du Seigneur (le message de Dieu).

Cet amphithéâtre a accueilli certains présidents de la République, nombre de ministres, de personnalités nationales et internationales, d’experts dans leur domaine respectif. Toutes les promotions se sont donc succédées depuis la fin des années 1940 pour écouter les conférences qui venaient et viennent toujours compléter l’ensemble des enseignements délivrés tout au long de l’année.

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[5] Gaston Etienne Le Bourgeois (1880-1956). Ce sculpteur se fait connaître dans les Salons parisiens du début du siècle. Durant la Première Guerre mondiale, il ouvre l’atelier des mutilés pour les hommes comme lui souffrant d’un handicap afin d’aider à leur reconversion. Il réalise notamment les chapiteaux de la crypte de Verdun. Ces sculptures, souvent inspirées du thème animalier, marquent son penchant pour l’Art Déco. Le Bourgeois est aussi connu pour avoir réalisé les panneaux de décors de la chapelle du paquebot Normandie, pour avoir travaillé à l’exposition coloniale de 1931 à Vincennes et pour avoir réalisé deux médaillons pour la salle Pleyel à Paris.

Amphithéâtre Marin-la-Meslée en 1967.

Mais cet amphithéâtre, qui a subi les bombardements de 1943 et 1944 et qui a su se reconstruire après-guerre, que l’on a fièrement présenté pendant de très nombreuses années lors des visites officielles et en particulier les visites de grands personnages depuis 1945, comme par exemple les présidents Vincent Auriol, Charles de Gaulle, Valéry Giscard d’Estaing, François Mitterrand, Jacques Chirac, mais aussi le maréchal Juin, Pierre Messmer, Michèle Alliot-Marie, Florence Parly. a malheureusement souffert. Il est certes toujours aussi imposant, il reste toujours un lieu de rassemblement pédagogique officiel, mais il cache derrière ses portes quelques égratignures, quelques cicatrices : les rides du temps. Il est urgent de redonner le lustre qui conviendrait à cette salle et de lui accorder tout le respect mémoriel qu’elle mérite. Pour cela, bien évidemment, il est indispensable de faire appel à toutes les bonnes volontés, à tous ceux qui directement ou indirectement se sentent obligés, concernés, et entre autres, à tous les anciens élèves qui ont laissé quelques années de leur jeunesse sur les sièges de ce « lieu de mémoire ».

Cdt (CR) Dr. Christian Brun

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